Francis Lagneau

Techniques

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L'HUILE ET LE GLACIS

Comme je l’ai signalé au début de ce site, ce sont les primitifs flamands qui ont été le moteur déclencheur de mon désir de peindre. Je les ai beaucoup admirés et étudiés dans les musées et dans les livres. La technique qu’ils ont inventée, le glacis, permet des œuvres de facture lente et mûrement réfléchies, ce qui correspondait à ma sensibilité car je suis un ruminant psychique. J’ai donc opté, dès le départ, pour cette technique qui autorise une transparence, une profondeur des matières et des couleurs qui lui est propre ; elle demande cependant une profonde réflexion et une organisation minutieuse.
Ce n’est que bien plus tard que je découvrirai la force de certains impressionnistes (Van Gogh, Seurat, Monet, …) et que j’inclurai leur manière brute et psychosensitive dans mes tableaux : il faut parfois du temps pour parvenir à faire ce qui semble le plus simple.

La technique

Je compose mon liant, 2/3 d'huile de lin et 1/3 d'essence minérale (la térébenthine rectifiée convient également)  ; j’y ajoute une dose de siccatif de Courtrai de manière à ce que le durcissement des différentes couches ne prenne pas trop de temps.

Pour les premières couches, je travaille souvent à l'essence minérale, l'huile contenue dans le tube suffisant amplement.


Il est important de comprendre la nature chimique des liants et des couleurs pour aborder la peinture à l’huile et en particulier le glacis. Certaines couleurs sont d’un séchage très rapide (terres, blanc de titane, noir de bougie, terre verte, …) alors que d’autres sont très lentes à durcir (violets, carmin d’alizarine, laque de garance, la plupart des bleus, …) ; c’est dû à leur nature chimique et en général, les fabricants indiquent sur le tube la transparence, la résistance à la lumière et le temps de séchage de la couleur ou du moins sa composition chimique.

Le liant a encore plus d’importance dans la vie d’un tableau et il faut bien en comprendre son fonctionnement : alors que la térébenthine ou le white-spirit permettent aux couleurs de sécher par le principe de l’évaporation, processus rapide, l’huile, par contre, ne sèche pas mais durcit en se gélifiant et a besoin d’oxygène pour le faire. C’est un processus très lent.


Si on recouvre une couche de pigment dilué dans l’huile par une autre couche diluée dans la térébenthine, on va empêcher la première d’accéder à l’oxygène nécessaire à sa gélification, la seconde ayant déjà séché, on se retrouvera avec une couche molle sous une couche dure, qui durcira comme elle peut avec le peu d’oxygène dont elle dispose : ça peut mettre des années et à terme, le mouvement d’une couche molle sous une couche dure provoquera des craquelures.
Il faut donc constamment garder en mémoire qu’il faut peindre GRAS (plus d’huile) sur MAIGRE (plus de térébenthine ou de white spirit), c’est essentiel pour la conservation de l’œuvre. De toute manière, la pose d’une couche saturée d’huile est très ardue sur une couche grasse ; cela fonctionne par contre sans problème sur une couche maigre.

Attention : j'utilise les termes térébenthine et white spirit mais ceux qui sont vendus en grande surface ne sont à utiliser que pour le nettoyage des pinceaux car ils dégraissent trop la couleur et l'appauvrissent en huile. Pour la couleur et vos mélanges, ou la composition du médium, il faut absolument utiliser les produits rectifiés vendus en magasin spécialisé : l'essence de térébenthine rectifiée pour la térébenthine, et l'essence minérale en lieu et place du white spirit. Personnellement, j'utilise l'essence minérale.

Je procède comme suit :

1. J’élabore le dessin de manière très poussée et je le fixe.
2. Je place mes premières couches, opaques, avec peu d’huile et un excédent de térébenthine.
3. Couche après couche, je renforce les ombres, les lumières, la texture et les éléments avec des couches constituées de plus en plus d’huile et de moins en moins de pigments, en tenant compte, bien sûr, que les éléments proches doivent être plus opaques, et les éléments éloignés plus transparents, tendant même vers le bleu car l’air regardé à l’horizontale prend une teinte bleuâtre

Le glacis permet des teintes et des effets qu’on n’obtient pas avec d’autres techniques. Par exemple, un glacis « blanc de zinc » accentuera le velouté de la peau alors qu’un glacis « jaune indien » lui donnera un teint doré, hâblé, et accentuera la lumière à la manière d’un soleil oriental. Un drapé composé de « rouge de cadmium » et de « bleu indigo » dans les ombres sera étonnamment renforcé par un glacis de « carmin d’alizarine » ou de « laque de garance », couleurs déjà transparentes ; rien n’empêche ensuite de renforcer l’ombre de manière plus générale par un « bleu outremer », très transparent également.


Je termine d’ailleurs toujours par les ombres, selon le tableau et l’ambiance qui lui est propre, par du « bleu de Prusse », « outremer », « indigo » ou « bleu cadmium » dans le blanc. Les possibilités sont multiples et j’en découvre encore.


Gardons à l’esprit que la peinture, comme le monde, est une illusion, que quelle que soit la manière dont on aborde la réalité, nous ne sommes jamais confrontés qu’à notre jugement et à nos idées qui nous reviennent sans cesse en miroir ; ceux qui croient à une autre réalité que la manière dont ils regardent ce monde se vouent à des désillusions. L’expérience m’a prouvé que le monde extérieur est plus petit que celui de mon esprit. Le dessin et la peinture contiennent une grande force d’illusion et ne sont en définitive rien d’autre sinon qu’une façon de nous dire : « cet homme là a vu cette chose de cette manière », ce qui est une façon de dire que si nous sommes enfermés dans notre perception, d’autres existent et ont la leur propre. La peinture est une grande leçon de modestie.
Quand un peintre dessine une sphère, qu’il l’ombre et la texture assez pour qu’elle semble réelle, on a beau savoir que le dessin n’a que deux dimensions, nos yeux (et forcément notre esprit) en voient trois, il n’y a rien à y faire. Ceci montre encore à quel point le monde est illusion (voir les gravures d’Escher à ce sujet), à quel point nos sens nous trompent, à quel point il advient d’être attentif que d’autres pensent et voient d’une manière qui n’est pas forcément la nôtre.


Le glacis est une manière de parvenir à créer l’illusion, l’illusion que les choses ont de la profondeur, l’illusion de la manière dont la lumière frappe cette transparence. Il y en a d’autres : on peut très bien mettre du vert, même beaucoup de vert, dans la peau pour exprimer un état ou une idée. La peinture n’a pas de limite.
Sans conteste, ma technique a évolué avec le temps et tâchant de « mixer » mes glacis avec une certaine spontanéité, je dessine de moins en moins et mes toiles partent de plus en plus souvent de l’informe vers la forme ; j’aime laisser un certain flou et même certains défauts, considérant qu’une toile trop parfaite est aussi froide qu’une photographie. Je me laisse souvent guider par la couleur.
Je reste cependant persuadé qu’il demeure difficile de peindre un tableau d’une seule facture et que les toutes les techniques sont bonnes pour arriver à nos fins ; les techniques mixtes sont là pour ça : fusain et pastel, fusain et huile, pastel sec et gras, pastel gras et huile, acrylique et huile, … tout est quasiment mélangeable.

 

Jan Van Eyck - les anges musiciens

Ici, ce grand maître de la Renaissance donne une profondeur aux objets que seul le glacis, dont il est l'inventeur, lui permet.

 

LE FUSOIL

J’appelle fusoil une combinaison sur papier d’huile et de fusain (ou de mine de plomb). Je compose le liant d’1/3 d’huile de lin et de 2/3 de térébenthine rectifiée, ou essence minérale. Je n’ajoute pas de siccatif car le séchage des premières couches est très rapide ; comme pour l’huile, je travaille par couches successives.
Cette technique permet d’obtenir des œuvres situées entre le fusain et la gravure, tendant même vers la « manière noire », avec toutefois une grande précision. Les noirs dans l’huile sont profonds et très contrastés ; il y a une possibilité d’infiniment de gris.

Je fais un dessin très poussé que je fixe car le liant dissout le crayon.
J’enduis et nourris copieusement la feuille de liant car au début, l’absorption du papier rend l’exécution ardue.
Je pose mes premières couches. Les parties qu’on travaille doivent être sans cesse refournies en liant sinon on perdra l’effet de fondu dans l’huile, surtout avec la mine de plomb, plus tenace.
On peut travailler avec du fusain, du pastel sec ou gras, de la peinture à l’huile ou même de l’acrylique pour certains effets. Selon l’effet recherché, on peut travailler avec un trait dur et appuyé, travailler avec un trait tendre dissout dans l’huile et étendre la matière à l’aide de pinceaux. Pour ma part, j’ajoute de la couleur à la fin, souvent de l’huile.
Le durcissement complet d’une couche peut prendre une à deux semaines (sauf la première couche), il y a donc un risque de dissoudre le travail précédent à la reprise : ne donc pas oublier de fixer le travail. J’ai déjà poussé un fusoil jusqu’à dix couches sans problème.

Certains artistes m’ont signalé qu’à terme, après dix ou vingt ans, il existe un risque que l’huile « mange » le papier, ce-dernier devenant friable et tombant en poussière. Pour ma part, mes œuvres ne sont pas assez anciennes pour me forger un avis. J’ai cependant vu des œuvres similaires de Marcel Delmotte ayant plus de vingt ans d’âge qui n’avaient pas bougé. Il y a une solution pour garantir son travail d’une telle détérioration : c’est de poser au verso, après le séchage complet du fusoil, des couches alternées de gesso et de colle de poisson (le gesso a l’avantage de contrer la transparence du papier due à l’huile), ce qui va renforcer la résistance du papier.
Personnellement, j’utilise du papier de qualité et ne prends pas de précautions ; cependant, je colle un feuille vierge au dos de l’œuvre après un mois de séchage
.

 

 

Oh ! Fortuna ! Fusoil et huile

 

LES GRIS

 

 

 

L’utilisation des gris en peinture demande une longue expérience et une grande sensibilité ; il faudra donc s’armer de temps et de patience pour assimiler leur composition et leur introduction dans une toile. Comme Corot l’a montré, il n’y a pas de nature sans gris et on peut dire qu’il a été un maître en cette matière.


Le gris n’est pas seulement un mélange de noir et de blanc, au contraire, il se décline dans toutes les teintes. On peut dire qu’il y a création de gris dès que le blanc intervient dans un mélange, avec toutefois deux exceptions : le jaune et le blanc, ces couleurs ayant une affinité particulière (je parle de jaunes purs), ainsi qu’avec certains rouges, le mélange produisant naturellement du rose (mais le « rouge cadmium », rouge de base, donne un rose grisâtre mélangé au blanc, lui préférer le « carmin d’alizarine » pour le rose brillant).


Pour commencer, il faut donc créer un noir orienté, et là l’anticipation a son importance. On peut cependant créer son gris directement : pour ce faire, on mélange du blanc, de la terre d’ombre brûlée et au choix : du bleu, du rouge ou du vert selon l’harmonie qu’on veut obtenir.

Ainsi, quand on acquière un peu d’expérience, on oriente son gris dans la teinte désirée. Il ne faut toutefois pas oublier la théorie de la complémentarité des couleurs pour les ombres.
Les gris sont devenus un passion et si j’ai pu réaliser une toile comme migration, exclusivement composée de gris, c’est grâce à la technique que j’ai acquise en ce domaine.

Pour ma part, je fais mon mélange très foncé sur la palette et je l’éclaircis directement sur la toile. Pour gagner du temps, je me suis créé un nuancier dont je propose une version ci-contre.


Ce nuancier est réalisé comme suit : les deux bases sont la terre d’ombre brûlée (TOB) (la terre d'ombre convient aussi) et le blanc. Veuillez à ne pas mettre trop de blanc dès le départ : il est plus facile d’éclaircir que de foncer une couleur. Ensuite, une exemple pour chaque couleur que j’ai testée, bleus, mauves et verts.


A chaque couleur, j’ai donné trois effets :

1. Foncé (premier rectangle).


2. Clair (deuxième rectangle).


3. En sphère nuancée, tel qu’il rendra sur la toile.

On peut également, pour gagner du temps, composer un gris en mélangeant du noir d'ivoire (ou noir de bougie, ou noir de vigne) et l'orienter avec une pointe de couleur, mais le résultat sera différent.

détail de Migration : ici, les gris sont déclinés à l'infini

nuancier des gris

 

 

APPROCHE PHILOSOPHIQUE

Avant-propos : des sciences et de la tautologie

Avant d’aborder le chapitre de la couleur et son sens, il est indispensable que j’approche notre raisonnement, notre façon de penser, en particulier la tautologie.
On appelle tautologie une définition dont le résultat est une identité du sujet à définir.
On ne se rend pas bien compte à quel point nous pensons de cette manière.

Dire : « Il est mort d’un arrêt de cœur » en est un commun exemple, l’arrêt du cœur n’étant rien d’autre que la mort. Le problème d’une expression tautologique, c’est qu’elle énonce, définit, mais ne nous apprend rien ; elle est à elle seule une scolastique.


Les sciences étant principalement fondées sur une identification de l’univers, il faut donc y affronter diverses tautologies et divers pense-bête. Admettre sans discussion que si a+b=c alors a=c-b parce que « une valeur change de signe en passant de l’autre côté du signe d’égalité », voilà qui fournit une règle absurde mais commode. La vraie explication, qu’à deux quantités égales on peut retrancher la même quantité « b » (a+b-b=c-b) serait encombrante ; le bon élève choisira donc des milliers de fois ce genre de pense-bête : l’école incite à penser bêtement.
On dira que les corps s’attirent à cause de la gravitation, laquelle dit tout simplement que les corps s’attirent.
On dira aussi qu’un corps qui n’est soumis à aucune force est en mouvement rectiligne uniforme, ce qui signifie qu’un corps qui n’est soumis à aucune force ne change spontanément ni de vitesse ni de direction … et comme on appelle force ce qui est capable de modifier la vitesse ou la direction d’un corps, la loi dit en fait ceci : un corps qui n’est soumis à aucune force n’est soumis à aucune force !

Loin d’être un piétinement de la pensée, la tautologie constitue à la fois le but et le moyen du savoir humain, la science se voulant une progressive identification de l’univers.
Identification ne veut pas dire explication. On a beau connaître et fouiller la théorie de la gravitation, on ne sait toujours pas pourquoi les corps s’attirent, et la physique quantique n’arrange pas les choses vu que les physiciens ne parviennent pas à trouver le pont entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, et que dans l’infiniment petit, des choses étranges se passent, comme si on avait là d’autres lois physiques. Et qu’est que l’instant avant le moment zéro de l’univers, de l’énergie ou de l’information ? Les théoriciens se battent encore à ce sujet, avec des théories aussi délirantes que les cordes ou les théories topologiques des champs dont on attend encore la validation et la moindre application pratique.


On a beau connaître les théories de Newton et toutes celles, quantiques comprises, sur la lumière (dont les photons se comportent quelquefois étrangement), on ne sait toujours pas pourquoi la chlorophylle est verte et le sang rouge. Bien sûr, il y a toujours la possibilité d’une explication par la scission du matériau, mais en final, quand on arrive dans l’atome, on peut toujours se demander pourquoi tel élément adopte telle couleur.
La science atteint ses limites quand, pour rendre compte du réel, elle recourt à des formulations valables comme mode d’emploi mais conceptuellement vides. Si je ne peux comprendre un phénomène qu’en admettant un nombre dont le carré est -1, j’échange une énigme pour un non-sens. Je peux bien connaître l’utilité d’un nombre comme racine carré de -1 et m’en servir comme instrument, il m’est impossible de rien en penser.
La science telle que nous l’avons développée, nous assure une haute technologie mais ne nous rapproche pas ni ne nous explique notre Nature.

Comment j'aborde la peinture

Le but de l’artiste étant de faire transparaître le spirituel à travers le beau (en allemand, l’adjectif « shöne » (beau) vient de « scheinen » (paraître)), c’est aussi son devoir de poser le « pourquoi ».
Si on me dit que l’univers vient du big-bang, pourquoi ce big-bang, qui ou quoi l’a initié ?
Qu’est-ce qui a fait de nous des êtres spirituels ? Pourquoi la « morale » est-elle tant ancrée à nos gênes ? Le Bien et le Mal nous gouverne alors que vu du côté de l’univers, il est absent : la mort d’un homme nous est un drame, pour l’espace, la perte d’une étoile représente peu de choses.
Voilà des choses que ni la science, ni la religion, et à peine la philosophie, ne nous explique. Il était important pour moi d’aborder ces choses un peu rébarbatives avant de parler de la couleur.
Entre la théorie de Newton et l’approche de Goethe, mon choix se porte sur ce dernier :

« L’art est la manifestation de choses cachées qui sans lui ne pourraient jamais trouver une expression. (Goethe) »

L’expérience du prisme n’est d’aucune utilité au peintre, même si elle a permis de mieux comprendre la nature de la lumière. Nous vivons, percevons dans la lumière, et vivons en symbiose avec elle. Il peut se révéler pénible de vivre dans une pièce peinte en rouge ou tapissée de mauve, mais le rouge peut très bien convenir à une salle de sport, lieu d’action, et le mauve à un casino ou un mortuaire, lieux de concentration ou de recueillement. L’homme n’a inventé ni la lumière, ni la couleur, sa psyché s’y est adaptée. La question peut se poser, celle de l’œuf ou la poule : lorsque que nous retrouvons en montagne et que nous trouvons le paysage beau et apaisant, est-ce vraiment beau et apaisant ou est notre esprit qui l’invente ? Encore une fois, j’en reviens à la perception de la réalité et à cette achalante redondance de nos pensées : nous ne voyons qu’à travers elles.


Quoi qu’il en soit, le peintre ne dispose que des couleurs pour se mettre en symbiose avec le spirituel puis avec la psyché de ses semblables, il doit donc pouvoir s’en servir pour éveiller chez l’autre une réaction psychosensitive ou émotionnelle. La forme est couleur, la perspective est couleur, le positionnement est dans la couleur, c’est ainsi que la Nature se présente à nous ; le peintre averti saura également qu’une forme sans couleur est une forme sans vie tant qu’elle ne l’habite pas.
Il peut sembler inutile pour un peintre de peindre un arbre, celui qui est dans la nature sera toujours plus beau, plus constant, plus feuillu, plus lumineux, plus réel. Le peintre va tenter de peindre la lumière qui éclaire cet arbre, de comprendre à travers elle le fonctionnement de la nature dont il est un élément pensant et tenter de transmettre sa trouvaille. Si on se prend à peindre un pot sur un bord de fenêtre, on peint surtout la manière dont la lumière arrose ce pot, toute autre manière n’étant qu’imagerie.
Mes propos peuvent sembler défaitistes, il n’en est rien : peindre est une passion dont on ne se défait jamais et ces réflexions se font en tâche de fond, comme dans les processeurs des ordinateurs multitâches, sans qu’on y pense, l’important étant de manier le pinceau.

Je n’attache pas grande importance entre les couleurs froides et chaudes ; ce classement ne m’a jamais intéressé et ne m’est d’aucune utilité dans mes réalisations.
La théorie de Chevreul sur la complémentarité des couleurs est beaucoup plus importante.
L’ouvrage du chimiste français Chevreul a influencé les écoles artistiques connues comme l’impressionnisme, le Néo-impressionnisme et le Cubisme Orphique. Robert Delaunay a utilisé dans ses travaux des « écrans simultanés ». Bien que l’œuvre de Chevreul soit restée au niveau théorique et n’ait jamais été conduite à son terme, elle a influencé autant les conceptions d’Eugène Delacroix que celles de Georges Seurat sur les couleurs et sur l’art de les traiter.


Chevreul y formule entre autre deux principes :
« Lorsque l’œil perçoit en même temps deux couleurs avoisinantes, elles paraissent aussi dissemblables que possible, tant du point de vue de la composition optique que de leur valeur tonale. »
Et encore :
« Dans l’harmonie des contrastes, la composition complémentaire est supérieure à toutes les autres. »
Je n’aborderai pas cette théorie en profondeur : le sujet est vaste et le comprendre intellectuellement puis affectivement m’a pris beaucoup de temps.

On trouve facilement cette théorie et les représentations du cercle chromatique sur le net.


J’aborderai donc les couleurs selon l’approche de Goethe en les classant comme suit : les couleurs-éclat, les couleurs-symbole et les terres.

 

LA COULEUR

Perception de la lumière dans le noir

Lorsqu’on observe la fin de la nuit, au moment où les premiers rayons de soleil apparaissent, on remarque que ceux-ci passent du rouge à l’orange avant que le fluide lumineux n’envahisse l’air.

On peut en conclure ceci :
La lumière vue à travers l’obscurité est ROUGE.


Par contre, quand on regarde le ciel en pleine journée, on le voit bleu : nous regardons un ciel noir qui nous apparaît bleu.


On peut donc en conclure que l’obscurité vue à travers la lumière est BLEUE.


Le peintre peut se servir de ces règles pour orienter l’harmonique de ses toiles en fonction du moment de la journée, rouge puis orange à l’aube, jaune citron le matin, jaune cadmium en fin d’après-midi, bleu le soir.


 

LES COULEURS-ECLAT

Les trois couleurs-éclat sont le jaune, le bleu et le rouge, soit les trois couleurs de base qui permettent d’ailleurs de créer toutes les teintes.


 

LE JAUNE

On apparente naturellement le jaune au soleil et à la lumière.


Peignons une surface en jaune, qu’observons-nous ? C’est en fait quelque chose d’antipathique quand on a un sens artistique développé : l’âme ne supporte pas une surface jaune enserrée dans ses limites ; il faut diluer et encore diluer le jaune, bref, il faut avoir un milieu jaune très dense en son centre qui rayonne en s’affaiblissant.


LE JAUNE VEUT RAYONNER

Il y a deux jaunes indispensables  :

1. Le Jaune Citron qui s’oriente légèrement vers le vert et qui convient bien aux lumières de début de journée alors que le ciel est bleu.


2. Le Jaune Cadmium qui s’oriente vers l’orange, donc une sensibilité de fin de journée quand la lumière décroît et qu’elle s’oriente vers le rouge avant de passer au noir.

J’attire également l’attention sur trois autres jaunes :

Le Jaune de Naples qui est à mon sens une continuation chromatique des terres même s’il n’en est pas une. Je l’utilise quelquefois dans la composition de la couleur chair.


L’Ocre Jaune est une terre et l’une des plus importantes ; il permet la composition de beaux vert-gris. Une pointe d'ocre jaune dans votre mélange, quel qu'il soit, vous donne toujours de la lumière.


Le Jaune Indien (ou Stil de grain jaune) convient parfaitement aux glacis : il donne une belle lumière dorée mais se révèle fugace et difficile en mélanges. Je l'utilise toutefois parfois dans les ciel, comme fond de base car c'est un jaune qui supporte le bleu.

La terre de Sienne naturelle, qui est une terre, éclaircie pas du blanc, vire au jaune crème.


LE BLEU

Représentons-nous une surface bleue : il y a là quelque chose qui nous fait quitter le champ de l’humain.

De par sa nature interne, le bleu exige exactement le contraire du jaune : il demande en effet de rayonner de sa périphérie vers le centre et doit être plus concentré pour se diluer vers le centre.


Le bleu a tendance à SE CONTRACTER.

Tous les bleus que j’ai rencontrés sont passionnants. Rappelons-nous également que le bleu, c’est l’ombre car toutes les couleurs deviennent bleues avant de disparaître dans le noir.

Je cite les principaux bleus :

1. L’Outremer, bleu transparent tendant vers le violet.


2. Le Bleu de Prusse, bien qu’assez instable à la lumière, m’est indispensable avec sa tendance fortement verte. Il faut l’utiliser prudemment car base d’un ciel, il a tendance à prendre toute la place chromatique d’un tableau.


3. Le Bleu de Cobalt, le bleu de bleu, à mon sens le bleu le plus pur que toute surface blanche contient dans ses ombres.
Indigo et Bleu Turquoise, aux tendances vertes.


4. Le Bleu de Sèvre, bleu lumineux qui convient bien aux chairs.


 

LE ROUGE

Je dirais que le rouge se situe entre les deux couleurs précédentes.


Lorsqu’on a une surface rouge sur une toile, elle ne veut ni rayonner, ni se contracter ; elle garde un caractère de surface mais s’AFFIRME. Prenons maintenant un rouge sur une surface verte : il y a là quelque chose d’incongru, le rouge ne veut pas rester en place, on a l’impression qu’il oscille, qu’il veut fuir.


Le rouge est MOUVEMENT, c’est un mouvement venu à l’arrêt.

Il y a deux rouges principaux :

1. Le Rouge Cadmium, rouge très opaque, difficile en mélange car virant au brun, excepté avec le blanc et certains bleus.
2. Le Carmin d’Alizarine, rouge sanguin profond et transparent, convenant aussi bien en glacis qu’en mélange. La Laque de Garance, sa sœur se révèle très fugace en mélange.


J’aime beaucoup le Rose Rendrant, très lumineux, ainsi que l’Orange de Cadmium, aussi indispensable.

La laque carminé, qui s"apparente au cramoisi d'alizarine, donne de très beaux roses et des rouges profonds.

Le vermillon, à tendance orangée, est le rouge matière par excellence.

nuancier des rouges

nuanciers des jaunes

nuancier des bleus et des violets

 

 

ici, les corps sont basé sur la terre de sienne naturelle

Les couleurs-symbole (ou couleurs-image)

Je m’attacherai ici à deux couleurs-symbole principales : le vert et la couleur fleur-de-pêcher. Au risque d’énoncer une évidence, nous associerons le vert à la végétation et le fleur-de-pêcher à la teinte de l’incarnat humain.


 

Le vert

Le vert supporte des contours précis et tolère qu’on l’encadre ; c’est une couleur stable, immobile et j’associe naturellement le vert à la plante. La plante est dotée de vie mais jusqu’à preuve du contraire, ne possède pas d’âme, et pourtant, ce vert est la vie de la plante. Si je sépare ce vert de la plante, j’ai une image de la vie de cette plante mais je ne possède pas son essence.

J’en conclus donc que le vert est l’image morte de la vie, c’est le symbole que j’attribue au vert.


Entrons dans la couleur chair de l’homme et ajoutons-y du rouge, donc du mouvement, on a vite l’impression de dynamisme et de bonne santé. Par contre, si on y met du vert, on va vers l’immobilisme, la maladie, voire la mort. C’est l’évidence même mais il est bon de s’imprégner de ces principes.


Je ne m’éterniserai pas sur les différents verts proposés en tube : c’est une couleur facile à composer et votre mélange sera toujours plus riche que celui qu’on vous propose. J’attire cependant l’attention sur le vert émeraude, un peu bleuté, transparent, qui m’est indispensable.


 

La couleur « fleur de pêcher »

La couleur « fleur de pêcher » est celle qui s’apparente le plus à l’incarnat et c’est un couleur difficile à composer. S’il existait une méthode pour peindre la chair, cela se saurait ! Cela dépend de la sensibilité et du génie du peintre : représenter une chair vivante est la chose la plus difficile à faire.


Par l’incarnat, l’âme humaine se révèle. Comme je le dis plus haut, un teint rosé ou un teint verdâtre révèle l’état de l’humain. Cet incarnat que nous percevons, c’est l’image de l’âme qui habite cet être. Vers le vert ou le gris, c’est vers la mort ; vers le rose, c’est vers la vie.
L’âme se vit elle-même, se ressent dans l’incarnat qui n’est pas mort comme le vert de la plante.


J’en conclus donc que la couleur « fleur de pêcher » est l’image vivante de l’âme.

Pour ma part, je démarre souvent la chair par de la terre de sienne brûlée, couleur transparente à tendance rouge qui se marie magiquement au blanc. Parfois, je commence sur de la terre de sienne naturelle, plus mate et plus jaune.

 

 

Les terres

Si elles ne sont plus tout à fait des couleurs-éclat ou des couleurs-symbole, les terres sont importantes par la richesse de teintes et de matières qu’elles apportent au peintre.

Elles sont toutes opaques, faciles à mélanger et sèchent rapidement :

1. L’Ocre Jaune : c’est une couleur que j’ai déjà évoquée et sa richesse est infinie. Elle se mélange au bleu pour créer de beaux vert-gris, au blanc et aux autres terres.
2. La Terre de Sienne Naturelle qui tend vers l'ocre jaune foncée. Il existe des terres de Sienne verdâtres.
3. La Terre de Sienne Brûlée vire vers le rouge ; avec l’Ocre de Chair, c’est la base de la couleur chair.

4. La Terre d’Ombre Brûlée : beau brun rougeâtre, il entre dans la composition des gris et des noirs. La terre d'ombre est un brun neutre, tendant légèrement vers le vert.
5. Le Sépia Extra remplace avantageusement le noir.


 

Du blanc et du noir

J’aborderai très rapidement le blanc et le noir ; si ces teintes ont une forte valeur symbolique, elles sont peu utiles en peinture, si on excepte que le blanc éclaircit les couleurs.
Je compose mon noir et l’utilise peu : un objet noir est difficile à peindre et d’un intérêt artistique faible. Tout objet noir se doit d’être orienté vers le bleu au risque de rester sans vie.
Pareil pour le blanc, comme la neige par exemple qui doit impérativement contenir du bleu pour pouvoir prendre sa place dans l’équilibre chromatique.
Le blanc servira bien sûr à éclaircir les couleurs ainsi qu’à éclairer les gris, mais il faut absolument éviter d’ajouter de la lumière avec du blanc : un tel effet serait fade.
L’exemple type en est le café : si vous rajoutez du blanc (donc du lait), vous obtenez une teinte beige et triste.
Il en va de même en peinture : il est indispensable d’éclairer et d’ombrer un objet par ses couleurs complémentaires. Revoir à ce sujet la théorie de Chevreul dont il faudra s’imprégner.
Si je veux peindre du cuivre, je peux prendre de la terre de sienne brûlée comme teinte base et je l’éclairerai à l’aide de jaune cadmium que j’éclaircirai en son centre par du blanc, avec modération. J’obtiens là quelque chose de chaleureux et de lumineux.
Je vais l’ombrer par du vert car la terre de sienne est rougeâtre (couleur complémentaire) et là j’obtiens de la matière qui ressemble au cuivre. Notons, fait cocasse, que l’oxydation du cuivre est verte (vert-de-gris), vert qui ressort dans la mort de la matière, comme dans la mort de sa lumière.

effets de cuivre


 

Pour les blancs, il y en a deux importants :

1. Le Blanc de Zinc : blanc transparent au séchage long, avec des reflets bleus ; il convient en glacis pour éloigner l’horizon comme pour donner un effet velouté à la peau. Il se mélange sans complexe avec toutes les couleurs.


2. Le Blanc de Titane : c’est le blanc pur, opaque et d’un séchage rapide : à utiliser dans les mélanges.

 

nuancier des terres

 

 

 

effets de cuivre


 

Les vernis et les liants

Je n’aborderai ici que l’essentiel :

1. Le Médium : je le compose moi-même : 2/3 huile de lin et 1/3 d'essence minérale auquel j’ajoute une petite dose de siccatif.
2. Le Siccatif de Courtrai : il permet un séchage en profondeur des différentes couches mais utilisé à de trop fortes doses, il peut occasionner des craquelures.
3. Le Médium Flamand : il permet la gélification instantanée d’une couche, donnant ainsi la possibilité de gagner du temps pour les glacis, mais contient beaucoup de plomb. C’est un produit difficile à utiliser et j’avoue le manier assez mal.
4. Le Vernis à Retoucher : il permet de nourrir la toile et de corriger les embus (parties devenues mates) et ce n’est pas un vernis de protection.
5. Les Vernis, mats ou brillants : ils protègent le tableau après son achèvement ; il faut être certain que les couches soient bien sèches avant de l’appliquer car ils stoppent l’oxygénation. Pour ma part, j'utilise le verni satiné.

Éviter les vernis polyuréthanes qui condamnent définitivement toutes restaurations futures de l’œuvre.

 

 

 

 
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